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27 février 2014 4 27 /02 /février /2014 18:35

Les médias et les universitaires-chercheurs (surtout ces derniers) nous parlent de la fameuse "crise de la presse". Qu'est-ce que c'est donc que cette crise de la presse ? C'est tout simplement que le modèle papier est en train de brûler comme Jeanne d'Arc à la fête de la Saint Jean (ou presque). Et ça, bah les corps de presse, ils aiment pas, parce qu'ils ont toujours été publiés sur papier. Je vois pas le problème, il suffit de passer sur le web. Je caricature un peu, en fait. La crise de la presse est plus profonde. C'est toute une remise en cause du journalisme qui est en train de prendre forme alors que se dessinent les nouveaux médias. Comment intéresser les gens avec du papier alors qu'ils sont tous accros aux écrans ? Comment intéresser la population avec des infos internationales datées de la veille alors qu'elle trouve tout sur Twitter ?

Pendant mon stage, j'ai découvert ce à quoi ressemblait la presse dans les années 80. Plus fournie, plus dense. Et encore, je ne vous parle pas de ce qui se faisait au début du XXe siècle. Quand je vous dis plus fournie, c'est à vue d'oeil (mais comme j'ai jamais été bon en maths, je laisse cette appréciation en suspens), 3 à 4x plus de texte en moyenne. Un papier "standard" faisait, grosso modo, entre 6000 et 8000 signes à l'époque alors qu'en moyenne, on en est à 2000 aujourd'hui. Ceci n'est pas la preuve que la presse est moins intéressante, c'est juste la preuve que les gens veulent du concret et vite. Parce qu'ils sont pressés. Et ils préfèrent le web. Parce que c'est plus facile à lire dans le train. Ça prend moins de place qu'un journal et c'est moins chiant à ranger. La presse mute. Et c'est normal. Comme ça l'est pour la musique et les livres. Cela étant, la presse ne peut pas (ou ne veut pas) changer. Certainement un peu d'arrogance de la part des titres séculaires. La presse fournit aussi du fixe, de l'immuable. Alors que les gens veulent du vivant.

La crise du journalisme n'est pas seulement à lier au changement de moeurs des lecteurs, bien au contraire. Il y a une méfiance, voire une défiance, de la population face aux journalistes. De un parce que celle-ci se sent utilisée par eux pour justifier certaines actions politiques, de deux parce qu'elle considère que la presse cache des choses qu'elle savait pour protéger ses intérêts et ceux des politiciens (l'affaire du sang contaminé, notamment). Bref, la défiance est plus au coeur de la crise que le manque d'intérêt. 

Cette défiance a deux causes. La première, c'est que le journaliste "chasse le scoop". Toujours à fureter dans des endroits où il y a le plus de chance pour qu'il chope un politicien la chemise sortie du futal, toujours à chercher du scooter. Le journaliste perd son crédit parce que certaines rédactions ont tendance à trop considérer le scoop comme unique élément viable du journalisme contemporain (surtout le cas en télé, et comme les gens s'informent majoritairement par la télé, ne cherchons pas plus loin). J'en veux pour preuve : la presse papier ne révèle plus les scoops. Elle ne fait qu'en parler, parce qu'il faut bien le faire. Mais ceci est laissé aux médias de l'instantané pour des raisons évidentes. La deuxième cause de cette défiance, c'est que, au vu du prix d'une école de journalisme, on a tendance à payer sa carte de presse en s'inscrivant (si on réussit son concours, évidemment). Alors bon, la déontologie, voilà, c'est bien gentil, mais faut rentabiliser les milliers d'euros investis par papa et maman en les rendant fiers quand ils regardent BFMTV ou TF1. C'est surtout ça qui fait défaut quand on se penche sur la question : les journalistes n'ont pas de morale. Je l'ai entendu, pendant mon stage. Ça ne m'était pas destiné à moi ou à ma rédaction, mais c'était un constat global du métier.

Je ne peux pas m'empêcher de mourir quand je vois Enora Malagré interviewer Pharell Williams comme elle le fait. Même lui est mal à l'aise quand elle l'appelle "Baby". Qu'elle arrête de dire que tout le monde le fait, c'est absurde. T'es "journaliste", pas potiche de service. Bon, c'est vrai que chroniquer (bien grand mot, encore une fois) pour Hanouna, ça doit bien réduire le sens critique, mais agir comme une ado de 14 piges, c'est moyen pour la réputation du métier. Et je passe les questions complètement minables, du genre "Dis-moi, Pharell, est-ce que t'as pensé à te lancer dans la boucherie ? Parce que t'as tout fait, alors je me disais...". Non, mais où on va, sérieux, où ? Ça se veut drôle et décalé, comme une émission d'Hanouna, mais ça met mal à l'aise et ça laisse une image déplorable du journaliste (comme une émission d'Hanouna).

Hier, en cours de "gestion des interactions professionnelles", dispensé par un gradé de l'INSEEC (clairement l'école où t'achètes ton diplôme en payant tes frais de scolarié), on a eu le droit à un magnifique "mais de toute façon, les journalistes n'ont aucune morale. D'un drame de dix morts, on arrive à un résultat final qui semble nous parler d'un bilan de 300 morts". Je vois pas en quoi on devrait se taper des leçons de déontologie d'un mec qui passe son temps à pigeonner des gens en concoctant des plans de stratégie de communication à destination d'un public de moutons. Ou, au mieux, à sauver du marasme communicationnel une entreprise de pose de fenêtres. Demander à des étudiants journalistes "s'il faut avoir un piston pour passer les concours", ça non plus, c'est pas digne, pas classe, pas de standing international. Demander à des étudiants journalistes s'ils ont "un plan de secours", c'est pas très finaud comme manière de dire "vous êtes minables, vous faites quoi en fac ?". Alors non, peut-être que je ne suis pas capable de "créer des plans de communications en cinq étapes pour permettre la symbiose dialogique entre deux équipes diamétralement différentes pour faire fonctionner un service de communication", mais ça devrait sûrement me réjouir. 

La presse est en crise et je ne pense pas que ce soit un mal. Il faut dépoussiérer les institutions si elles ne peuvent pas le faire d'elle-même.

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