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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 21:29

 L’homme était là, debout sur le pont. En dessous de lui, un torrent. Sur les berges de ce torrent, des gens, des milliers de personnes prêtes à le voir mettre fin à sa misérable petite vie.

Lui, seul, sans amis, sans famille, sans amour. Lui, ne veut qu’admirer ce paysage, magnifique, qu’offrent la hauteur et le positionnement du pont au dessus du torrent. Il avait même prévu son appareil photo pour faire des photos à mettre sur son site. Car, oui, cet homme aimait la nature, et elle, au moins, elle le lui rendait bien. Il ne désirait pas être aimé, ne désirait que sa petite vie tranquille et non pas une célébrité vécue au jour le jour.

D’ailleurs, il faudrait expliquer comment l’homme s’est retrouvé derrière la balustrade du pont, au-delà des barrières de sécurité. Il désirait, au départ, prendre des photos du pont, pour donner une impression d’infinité, de continuité, de longueur du pont. Tout comme sa vie. Un pont désert, peu fréquenté, seulement par lui, et quelques curieux, qui désirent en apprendre plus, en savoir plus, sur la nature humaine. La Nature, tout simplement.

Cet homme se demandait pourquoi la foule était si ardente, prête à exploser, comme une bombe à retardement. Il passe la barrière de sécurité pour voir la foule qui semble attendre quelque chose de lui, il veut en savoir plus, il veut savoir pourquoi la foule scande le même refrain, lancinant, lui perforant les veines, lui montant à la tête. "Saute, saute, saute, saute, saute, saute !", scandait la foule. Elle ne désirait qu’une chose, assouvir son fantasme de violence et de sang, de perdition et de suicide. Cet homme en était venu à plusieurs raisonnements, tous aussi stupides les uns que les autres. Il pensait que la foule le voulait au fond du torrent, que quelques passants prendraient des photos, voire même, pourquoi pas, des vidéos qui feraient le tour du monde et le rendraient célèbre. Il se mit à rire, fort, parce qu’il ne veut pas de célébrité, même posthume. Il veut garder son anonymat, cet anonymat, si jouissif pour chacun de nous, si puissant qui nous élève comme des simples feuilles mortes au mois de Novembre.

D’ailleurs, cette scène se déroulait en Novembre. Le 2 Novembre, plus précisément . Il pensait que les gens voulaient voir des choses tomber, pas que des feuilles. Tous les ans la même litanie, le même brunissement des feuilles, leur chute, lente, modérée, puis enfin, le retour à leur état premier, leur état naturel. Se décomposant peu à peu, comme un cadavre en perdition, dans un océan de terre et de Noir éternel.

Il avança un pied dans le vide, pour voir comment la foule réagirait s’il faisait le dernier, le final, l’ultime pas. Celui qui le conduirait vers les Anges, vers sa défunte épouse.

La foule, toujours hypnotisée, lançait dans les airs son unique et seul refrain, lancinant. "Saute, saute, saute, saute, saute !". A la tête de cette foule folle, se tenait un homme, grand, avec une crête sur la tête. Il semblait plus déchaîné, plus fou, plus intenable que les autres, et le petit Chétif sur le pont avait peur de lui. Très peur. Cet homme, comme un prêtre lorsqu’il rassemble ses fidèles, à l’air immortel, se sentant comme un messie, croyant que c’est la parole de Dieu qui l’envoie, qui l’appelle vers sa destinée. Cet homme, il lui fait penser à un Hitler moderne. Un "Führer" qui illuminerait et conduirait les foules. Oui, ce type est comme un prêtre, un prêtre sataniste, qui rassemble ses fidèles pour assister à l’égorgement d’un bouc ou d’un autre "démon", pour expier leurs péchés. Le Chétif, le Martyr pleure toutes les larmes de son corps.

Il veut leur crier d’arrêter, qu’il ne veut pas sauter, qu’il désire vivre. Mais on n’obtient pas tout ce que l’on désire. De plus, il sait que les mouvements de foule ne peuvent être arrêtés que d’une seule façon : leur donner ce qu’Ils désirent. Donner du désir aux Indésirables. Quelle ironie! Le Chétif ferme les yeux et se concentre. Il recherche un moyen pour s’en sortir, il recherche un moyen assez plausible pour ne pas sauter, pour rester vivant. Pour qu’il puisse nourrir son dernier compagnon, son chaton, dénommé Feuer, car il possède déjà un tempérament ardent, s’était dit l’homme, lorsqu’il l’adopta, en "compensation" de sa Défunte. Il ne voulait pas mourir. Pas avant d’avoir serré une dernière fois la petite boule de poils qui lui rappelait sa femme.

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